La fiction réparatrice


Éditions UV

2018 – (2020, édition augmentée)
160 pages
ISBN : 978-2-9562753-4-3

Mettant au travail un concept esquissé par la théoricienne Eve Kosofsky Sedgwick (qui opère la distinction entre lecture paranoïaque et lecture réparatrice, cette dernière refusant de séparer le blanc des faits du jaune de l’imagination), ce livre se soutient d’une conviction : lorsqu’elle entend partir de la non-effectivité sexe-genre pour libérer, non seulement notre manière d’envisager les identités sexuelles, mais bien la façon de penser le monde, la théorie queer communique avec de multiples avancées parallèles qui, dans les sciences sociales et la philosophie contemporaines, entendent de même se frayer un chemin à travers les clivages et les dualismes entre nature et culture, corps et esprit, monde imaginaire et monde réel, individu et communauté.

De l’anthropologie telle que la pratiquent des auteurs comme Tim Ingold, Philippe Descola, Roy Wagner ou Eduardo Viveiros de Castro, à la réflexion sur les sense data ou le mind-body problem qui traverse la philosophie analytique (de Russell à Austin) en passant par la théorie féministe et queer, les ressources et les convergences sont nombreuses. Cet ouvrage propose de mettre en jeu cette intertextualité en assemblant les textes comme autant de pièces à recomposer suivant l’esprit du Kintsugi japonais, dans l’optique d’une réparation qui mobiliserait les affects positifs.

Au cœur de cette mosaïque, la coupure entre théorie et fiction est ici l’objet d’un réassemblage dont la formule se résumerait ainsi : si la théorie queer est une science-fiction, une SF au sens de Donna Haraway (Speculative Fabulation, String Figures, So Far…), réciproquement c’est dans la science-fiction, de la culture visuelle et des mythologies contemporaines que se tressent hypothèses, pistes et figures en réponse aux interrogations théoriques et politiques de notre temps. Ce n’est pas un hasard sans doute si Ex Machina, version futuriste de Barbe-Bleue, cite Ludwig Wittgenstein et son Blue Book : de Mary Shelley à Barbarella, de Lady Vanishes à Gone Girl, de Game of Thrones aux Wachowski, l’apprivoisement des dragons ou les hybridations alien et cyborg renouvellent d’un même trait l’investigation intellectuelle et le répertoire de nos existences possibles. Il s’agit donc, non de faire de quelques histoires le prétexte ou l’illustration de théories préexistantes, mais de penser à même les images, à même les récits et les personnages qu’elles-ils déploient, pour soigner les coupures que nous infligent les idées. Non que cette réparation soit toujours rassurante, tant elle doit convoquer contre la férocité des assignations identitaires des puissances étranges ou fantomatiques : après tout, lorsque Philippe Descola évoque ce qui résiste au naturalisme épistémologique des modernes, c’est un film fantastique qu’il projette sur l’écran de la théorie (« De la multitude des chambrettes abritant des cultures particulières dégouttent au rez-de-chaussée des infiltrations bizarres, fragments de philosophies orientales, débris de gnoses hermétiques ou mosaïques d’inspiration New-Age, assurément sans gravité, mais qui polluent ça et là des dispositifs de séparation entre humains et non-humains »). Si l’on ira chercher souvent du côté des fictions inquiétantes et des films de terreur, ce n’est donc pas par fascination pour la destruction qu’ils mettent en scène, au contraire : il s’agit de chercher, dans les tressaillements de la sensibilité, un levier pour faire bouger les identités de genre et les partages conceptuels institués.

Préface de Mélanie Gourarier

Lire ici la préface : 5504

 

Presse & articles :

« Il est une confusion à éviter sur le titre de cet essai : le mot « réparatrice » ne doit pas faire croire qu’il s’agit d’une nouvelle reprise du thème de la fiction comme pratique de consolation d’une identité aliénée, où, pour employer un mot à la mode, de « reconstruction » d’une personnalité traumatisée. La fiction comme pansement n’est pas le sujet d’Émilie Notéris(*), qui situe son propos, à partir des « Cultural Studies », plus précisément des études queer qui visent à « déjouer les genres de nos imaginaires ».
S’inspirant de la théoricienne queer américaine Eve Kosofski Sedgwick, elle propose de passer de la fiction paranoïaque à la fiction réparatrice. La première construit un bunker où se mettre à l’abri du pire, toujours certain. Pour la seconde ce qui est fragile peut casser, et l’on peut vivre avec. Ainsi la réparation fait bouger les lignes et basculer les points de vue. Le concept s’applique à l’évidence au couple sexe-genre dont la « non-effectivité » a été mise en lumière depuis longtemps. Ses effets ne sont donc pas de l’ordre de la dénégation ou du refoulement. Ils mettent au contraire au premier plan la cassure et le processus de remise en état. Ainsi les maîtres japonais réparent un vase de porcelaine brisé en soulignant à la poudre d’or la jointure de la pièce recollée. »
Alain Nicolas, « La cicatrice dorée du vase japonais », L’Humanité, 7 avril 2011

Article ici : humarep

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« Ce mot de « réparation » qui a évidemment mauvaise presse, là encore il faut savoir prendre position face à lui, sans louvoyer, sans céder évidemment aux discours psychologiques de la réparation ou encore moins se laisser piéger par sa financiarisation ; mais être attentifs aux arts pratiques qui d’une certaine manière peuvent nous permettre de comprendre comment on répare une appartenance. Émilie Notéris le suggère finement dans un petit essai, dans La Fiction réparatrice, qui a à voir avec l’art de raconter et qui trouve pour elle son inspiration dans l’art japonais du Kintsugi qui a été développé depuis le XVème siècle. Et elle montre comment une porcelaine brisée, avec l’art du Kintsugi, ne s’y répare pas en collant bord à bord les éclats dispersés mais en rendant au contraire les lignes de fractures beaucoup plus visibles. En les soulignant davantage qu’en les colmatant, en les écartant presque avec de la pâte d’or. Ainsi l’objet acquiert une valeur supplémentaire du simple fait qu’il exhibe l’histoire de ses accidents, il est plus beau, il est plus précieux, du fait même qu’il a été brisé. Et ça c’est quelque chose qui a à voir avec l’art. L’art contemporain convié comme exercice de discipline d’un regard acéré et qui a évidemment toute sa place dans ce musée. »

Conférence de Patrick Boucheron, samedi 14 octobre 2017, Musée National de l’Histoire de l’Immigration à l’occasion de la refonte de l’exposition permanente du Musée.

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Entretien entre Felwine Sarr et Patrick Boucheron, Les Inrockuptibles, 29 janvier 2019

 

Événements :

Le 9 mai 2017 à la Gaîté Lyrique – 19h
Dialogue entre Mélanie Gourarier préfacière de l’ouvrage et anthropologue, Alexandre Gefen, chercheur au Centre d’Étude de la Langue et des Littératures Françaises, Raphaël Nieuwjaer critique de cinéma et Émilie Notéris.

Le 10 mai 2017 à la Librairie Petite Égypte – 19h
Dialogue avec Alice Rivières, personnage de fiction documentaire français, née au milieu des années 70.

Invitation à écrire du CAC de Brétigny, Céline Poulin, à l’occasion du cycle Esthétiques de l’usage, usages de l’esthétique, premier mouvement: l’artifice, 2020

Marianne Mispelaëre, Le Superflu doit attendre, 2018, acquisition Frac Normandie Rouen